"Etat de la pauvreté en France 2022" : les ménages précaires à l'épreuve des crises
Le Secours Catholique-Caritas France publie jeudi 17 novembre son rapport statistique annuel "État de la pauvreté en France 2022". Constats et analyses sur la précarité issus de l’observation sur l'ensemble du territoire national de plus de 46 000 situations (sur les 938 000 personnes accueillies par l'association en 2021). Cette année, le rapport étudie l'impact de la crise du Covid sur les conditions de vie des ménages les plus fragiles. Après deux ans d'épreuves, leur pauvreté s'est aggravée, tandis qu'ils subissent désormais le choc de l'inflation.
Crise financière, crise sanitaire, guerre aux frontières de l’Europe, inflation, événements climatiques extrêmes… Nous sommes dans une ère d’incertitudes multiples. Pour celles et ceux qui n’ont aucun coussin d’amortissement, le choc peut être extrêmement douloureux. C’est le cas des personnes aux conditions de vie les plus précaires, qui ont été le plus durement affectées par la crise née du Covid-19.
Tel est le principal enseignement du rapport statistique 2022 du Secours Catholique sur l’état de la pauvreté en France. À l’appui de ce constat, une étude dédiée à l'impact de la crise sur les budgets des plus précaires. Elle a été menée en partenariat avec des chercheurs de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et de l’université Paris-Saclay. Les données ont été recueillies auprès d'un échantillon de près de 9000 ménages accueillis par l'association, avant et durant la crise sanitaire.
Cette analyse du budget des ménages met en évidence des profils de précarité diversement affectés. Les femmes seules, en particulier, ont vu leur budget, déjà très contraint, fortement déséquilibré par les pertes de revenus engendrées par la crise sanitaire. Autre population peu ou mal servie par les aides publiques mises en place pour compenser les effets de la crise, les étrangers au statut légal instable ont vu leurs difficultés accentuées.
L'étude du Secours Catholique montre que les politiques publiques ont la capacité de cibler les ménages repérés comme à risque d’être étranglés financièrement. Autrement dit, une politique volontariste pourrait éliminer la grande pauvreté dans notre pays. Mais les mesures prises jusque là ont laissé de côté des populations dont la crise a révélé la grande vulnérabilité. Certains ménages se retrouvent ainsi dans une pauvreté qui pourrait devenir chronique, au regard du poids des dépenses contraintes (loyer et énergie notamment) dans leur budget. Un fardeau qui pèse d'autant plus lourd dans le contexte actuel de l'inflation.
C'est pourquoi le Secours Catholique renouvelle son appel à augmenter le pouvoir de vivre des ménages les plus fragiles :
- par l'accès à un emploi et un salaire décent ; et un accompagnement de long terme
- par l'augmentation des minima sociaux à hauteur de 40% du revenu médian, leur indexation sur l’inflation et l'accès au RSA, sous conditions de ressources, pour les 18-25 ans et les personnes étrangères dès l’obtention d’un titre de séjour ;
- par une politique active de lutte contre le non-recours aux prestations sociales.
Rapport statistique sur l'état de la pauvreté en France 2022
Les statistiques de la délégation Aix/Arles révèlent que même si la demande d'aide alimentaire a continué d'augmenter, une conséquence de la deuxième année de pandémie, la demande d'écoute et de conseil est devenue la première demande d'aide en 2021 ( 86.2 % contre 46.4 % en 2020).
La hausse des prix des produits alimentaires et de l’énergie, n’a en effet pas permis aux personnes accueillies par le Secours Catholique de profiter d’un retour « à la normale », et surtout pas d’évacuer les angoisses liées au risque de basculer dans une situation de plus en plus précaire et d’isolement social.
Ces ménages au revenu déstabilisé par ces crises successives, sous le poids des dépenses contraintes, - loyers, électricité, transports… - n’ont souvent plus que quelques euros pour « le reste ».
Martine, qui anime la permanence accueil-écoute le mardi, a constaté avec d’autres bénévoles l’impact de la hausse des prix de l’énergie sur des ménages qui, jusqu’ici, s’en sortaient tout juste. « A l’automne 2021, se sont présentées à l’accueil des personnes avec un travail mais des revenus modestes. Leur facture d’électricité a été multipliée par deux ou trois et prélevée directement sur leur compte. Tout à coup, elles ne pouvaient plus faire face à d’autres dépenses prioritaires. Une dame est venue avec un cahier sur lequel elle notait toutes les dépenses de la famille à l’euro près pour contrôler un budget très serré. Elle était en pleurs car malgré cette discipline, elle n’avait absolument aucune réserve pour anticiper un imprévu de ce type. »
Les outils pour lutter contre la fracture numérique
Une politique active de lutte contre le non-recours aux prestations sociales fait partie des solutions préconisées par le Secours Catholique pour venir augmenter le pouvoir de vivre des plus fragiles
En effet, la dématérialisation croissante des démarches administratives accroît la vulnérabilité sociale de populations déjà fragiles, comme en témoigne Eric, bénévole à l’accueil d’Aix-en-Provence. « La fracture numérique est une réalité. On a commencé à voir de plus en plus de personnes qui demandent une aide financière alors qu’ils devraient avoir accès à des droits sociaux mais elles sont incapables de compléter leur dossier seules ou bien des personnes qui perdent ces droits parce qu’elles n’ont pas su assurer le suivi en ligne. En attendant, leur situation a empiré de façon dramatique et elles n’ont rien pour leurs achats de première nécessité. »
Le chantier d’inclusion numérique a continué à se développer au sein de la délégation en 2021 et 2022. Des sites pilotes à Aix-en-Provence Gardanne, et Arles ont été mis en place avec des formations spécifiques pour les bénévoles en charge de l’accompagnement en ligne et des postes informatiques ont été installés.
Fer de lance de la lutte contre les inégalités numériques, la délégation va déployer le Fraternibus,en 2023. Ce véhicule aménagé en local d’accueil convivial, équipé d’ordinateurs et d’imprimantes, vise à faciliter l’accès aux droits des personnes, en allant vers les populations éloignées géographiquement des structures existantes. Créateur de lien social et de convivialité, le Fraternibus permet de rompre l’isolement de personnes ne pouvant se déplacer, de faire connaître leurs droits aux habitants et de les accompagner.