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Hébergement d’urgence : comment résoudre la crise ?

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L’hébergement d’urgence est obstrué en France. Censé être provisoire, il devient pérenne. Hôtels, centres d’hébergement d’urgence ou gymnases : les personnes vivent des années durant dans des conditions parfois indignes. Même le logement social est désormais dans l’incapacité de loger des personnes vivant sous le seuil de pauvreté. Comment expliquer cette saturation de l’hébergement d’urgence ? Et comment développer des logements décents et pérennes ?

« J’ai échoué dans cette enclave il y a trois ans. Comme je n’ai pas de papiers, je suis reclus ici », explique Khali, venu d’Algérie pour soigner sa broncho-pneumopathie chronique obstructive. Il est actuellement logé dans un centre d’hébergement d’urgence (CHU) au Fort d’Aubervilliers, géré par l’association Cités Caritas, membre du réseau Caritas France.

Comme lui, Franck vit ici depuis quatre ans. Lui est Fançais, mais ne peut trouver de logement faute de moyens : « Le privé coûte trop cher. Et ma demande de logement social n’aboutit pas. Résultat : je suis coincé ici, dans du “temporaire définitif”. »

À quelques kilomètres de distance, dans le 11e arrondissement de Paris, Hélène vit avec son fils de 5 ans dans un hôtel. Cela fait six ans que cette Congolaise est condamnée à vivre ici : « Tant que je n’ai pas de titre de séjour, je suis bloquée à l’hôtel. Le plus dur est le manque d’espace, je suis obligée de m’habiller devant mon fils, c’est gênant. Et l’hôtelier entre dans la chambre comme il veut. On n’est pas chez soi, ici. »

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Comme Khali, Franck et Hélène, ce sont quelque 260 000 personnes qui sont abritées dans ce qui est appelé l’hébergement d’urgence. Nuitées hôtelières, places en CHU, en Cada (Centre d’accueil pour demandeurs d’asile), ou encore dans des places ouvertes l’hiver, par exemple dans des gymnases : ces hébergements d’urgence sont en effet censés être provisoires pour mettre à l’abri rapidement les personnes.

« Est-ce que je vais être remise à la rue avec mon bébé à la fin de l’hiver ? » s’inquiète Fatoumata, hébergée dans des places “hiver” d’un CHU de Cités Caritas à Bures-sur-Yvette. « Il faudrait pérenniser les places ouvertes en hiver ou du moins éviter les sorties sèches sans solution de logement ou d’hébergement », estime Dominique Manière, directeur général de l’association Cités Caritas qui dénonce, en tant qu’opérateur de l’État, une tendance à la baisse des financements.

Outre ces places hivernales, l’hébergement d’urgence qui dure toute l’année est lui aussi saturé. En témoigne ce chiffre : en Île-de-France, seule une personne sur quatre arrive à joindre le 115 pour être mise à l’abri, sachant qu’environ les deux tiers des sans-abri n’appellent plus. Les places sont toutes occupées et quand l’une d’elles se libère, elle est prise d’assaut. « On assiste à un flot continu de personnes en demande », constate Dominique Manière.

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L’augmentation de la précarité (les personnes à la rue seraient désormais 143 000) mais aussi des mouvements migratoires en est la cause. Les trois quarts des chambres d’hôtel en Île-de-France et la moitié des lits en CHU sont occupés par un public ni expulsé ni régularisé.

Pour René Dutrey, secrétaire général du Haut Comité au logement des personnes défavorisées, « l’hébergement est le réceptacle du dysfonctionnement des politiques publiques sous-dotées en moyens financiers : la crise de l’accueil des migrants, les sorties sèches de l’aide sociale à l’enfance, les fermetures de lits en psychiatrie, les sorties sans solution de réinsertion après la détention, etc. ».

L’hébergement est le réceptacle du dysfonctionnement des politiques publiques sous-dotées en moyens financiers. René Dutrey, secrétaire général du Haut Comité au logement des personnes défavorisées

Résultat : tout un public sans toit appelle le 115 pour être mis à l’abri. Une fois dans le système d’hébergement d’urgence, la durée moyenne d’un séjour est de quatorze mois. Ainsi, en Ile-de-France où 60 000 personnes sont hébergées à l’hôtel, plus de 12 000 s’y trouvent depuis plus de deux ans.

« On assiste à un problème de flux entrants vers le 115 qui est le miroir de l’échec des politiques publiques (politique de psychiatrie, politique migratoire ou encore politique d’aide à l’enfance), mais aussi un problème de flux sortants vers le logement », analyse Manuel Domergue, directeur des études à la fondation Abbé-Pierre1. « En conséquence, le secteur de l’hébergement d’urgence gonfle et est “embolisé” au détriment du relogement. »

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Vanessa Benoit, directrice générale du Samu social de Paris, note pour sa part : « L’hébergement d’urgence est saturé parce que les personnes n’accèdent pas à du logement pérenne. On répond à l’urgence, mais on n’arrive pas à en sortir ensuite. » C’est également l’avis de Florent Gueguen, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité, dont le Secours Catholique et Cités Caritas sont membres : « Les gens restent coincés dans l’hébergement d’urgence car il n’y a pas de fluidité vers le logement. »

Il précise qu’environ 30 % des personnes en hébergement d’urgence ont un emploi, mais sont des travailleurs pauvres qui n’arrivent pas à accéder au logement. C’est le cas de Ruddy, originaire de RDC, qui a obtenu l’asile et décroché un travail en tant qu’agent de qualité en intérim, mais qui est coincé depuis un an au CHU de Cités Caritas à Bures-sur-Yvette, où il doit partager une chambre avec un inconnu. « Je réunis tous les critères, témoigne-t-il, mais je n’ai rien trouvé jusqu’ici. Pourtant il serait plus logique de me donner un logement et de laisser ma place en CHU à quelqu’un à la rue. »

« Certains de nos hébergés sont autonomes et n’ont plus besoin d’accompagnement social », observe Audrey Celot, chef de service au CHU de Bures-sur-Yvette, « mais ils n’accèdent pas au logement pour autant. Le privé est de toute façon devenu inaccessible ».

Les CHRS (Centres d’hébergement et de réinsertion sociale), censés être un tremplin entre l’hébergement d’urgence et le logement, sont eux aussi saturés. Un tiers des personnes hébergées y demeurent car elles n’ont pas d’autre solution de logement.

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Alors comment expliquer que ces personnes précaires n’accèdent pas au logement, tout en ayant un accompagnement social ? « Il y a une déconnexion entre les loyers qui ont explosé et les revenus des ménages qui augmentent peu. Le prix du foncier a flambé du fait de la spéculation et, parallèlement, les aides publiques comme les APL (aides pour le logement) ont chuté. Résultat : on fait face à une machine à exclure du logement privé », analyse René Dutrey, du Haut comité au logement des personnes défavorisées.

Quid alors des logements sociaux ? « On assiste à une pénurie de logements sociaux. Il en faudrait 150 000 nouveaux chaque année alors que seulement 87 000 ont été créés en 2020. Quant aux logements très sociaux, il en faudrait 60 000, et on en produit aujourd’hui la moitié », déplore Florent Gueguen, de la Fédération des acteurs de la solidarité.

À l’heure actuelle, 400 000 logements sociaux sont attribués chaque année tandis que 2,1 millions de personnes sont en attente : une personne sur quatre se voit accéder au logement social.

« On assiste d’une part à un problème de rotation, puisque les personnes restent longtemps dans le parc social, et d’autre part à une baisse de la production », constate Marianne Louis, directrice générale de l’Union sociale pour l’habitat (qui fédère les organismes HLM). « Trop de collectivités se contentent tout au plus de respecter la loi SRU2, alors qu’il ne s’agit pas d’un plafond mais d’un plancher. »

Dans une étude menée avec d’autres partenaires3, le Secours Catholique montre qu’aujourd’hui, faute de ressources suffisantes, des ménages sont exclus du logement social.

En conséquence, ils sont contraints de fournir des efforts considérables dans le parc privé ou de rester bloqués dans le circuit de l’hébergement d’urgence.

Ainsi, les personnes qui disposent de moins de 500 euros par mois par unité de consommation n’ont que 18 % de chances d’accéder au parc social, contre 23 % pour ceux qui disposent de plus de 500 euros. Autre chiffre : un ménage avec un revenu par unité de consommation compris entre 340 et 510 euros a 30 % de chances de moins de se voir attribuer un logement social qu’un ménage ayant un revenu entre 1 370 et 1 710 euros. Le parc social est donc incapable de loger les personnes vivant sous le seuil de pauvreté.

La crise sanitaire accroît la crise du logement

Le Secours Catholique et ses partenaires alertent sur le fait que la crise sanitaire et ses conséquences économiques frappent durement les plus précaires. Les intérimaires, les saisonniers, ceux dont les CDD ne sont pas renouvelés, les indépendants, sans oublier les personnes vivant de revenus informels (travail au noir, notamment) ont vu leurs ressources s’effondrer. Toutes ces personnes ont désormais des difficultés à payer leur loyer. En ce qui concerne le parc social, les organismes HLM craignent, par effet domino, une hausse des impayés. Dans son rapport annuel, la fondation Abbé-Pierre alerte aussi sur une « bombe à retardement pour les ménages modestes » et craint une hausse des expulsions à la fin de la trêve hivernale qui a été prolongée et qui prendra fin le 1er juin. « Au total, on estime que 30 000 personnes sont potentiellement concernées par des situations d’expulsion qui pour l’instant sont rendues invisibles par la trêve hivernale », observe Ninon Overhoff, responsable du département “De la rue au logement” au Secours Catholique. « Il faudrait dès lors systématiser l’indemnisation des bailleurs pour ne pas les léser, mais aussi mobiliser des formes de relogement ou d’hébergement pour que personne ne se retrouve à la rue sans solution le 1er juin. » L’association estime par ailleurs que seul un accompagnement renforcé à l’accès aux droits pourra aider les personnes et notamment les inciter à déposer un recours Dalo. Car toutes devraient être relogées prioritairement.
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Pourtant, « un logement peut apporter une stabilité résidentielle qui permet de se soigner, de se poser, d’avoir une vie sociale… », estime Lola Vives, doctorante en sociologie à l’université Lyon-Jean-Monnet. « Actuellement on est confronté à un système en escalier, dans lequel les personnes entrent par l’hébergement d’urgence, grimpent via des dispositifs plus accompagnés (type CHRS ou pension de famille) et obtiennent le logement autonome à la fin du parcours. Or le logement ne devrait pas être une finalité mais bien un droit pour tous. »

Celui-ci est d’ailleurs consacré par la loi Dalo (droit au logement opposable) qui oblige l’État à loger les personnes. Ainsi, c’est parce qu’elle a été reconnue prioritaire Dalo qu’Albertine a pu quitter le CHU d’Aubervilliers pour s’installer dans un logement social à la Courneuve : « J’étais déprimée et pas à ma place en CHU. Je suis naturalisée française, je ne comprenais pas pourquoi j’étais en CHU et ça a duré deux ans, c’était long ! Heureusement, maintenant j’ai mon chez-moi et je peux dormir paisiblement. »

Matoma, quant à elle, a pu quitter son hôtel après quatre années d’instabilité : « Je ne pouvais pas faire la cuisine dans ma chambre, ma fille jouait sur le lit, il y avait des cafards… Maintenant, j’ai un logement social et je suis fière d’avoir ma clef et mon nom sur la boîte aux lettres. Le fait que je paie m’aide aussi à me sentir chez moi. »

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Dans un appartement, tu te sens chez toi, c’est une fierté !
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Alors que faire pour offrir des logements à ces personnes bloquées dans l’hébergement d’urgence ? Tout d’abord, mettre fin à ce système en escalier qui part du principe qu’un SDF ne pourrait pas vivre aussitôt dans un logement autonome.

« On a en France cette culture de la capacité progressive à habiter. Je pense au contraire qu’il est important de permettre l’exercice du choix et de garantir le respect du droit au logement des personnes », estime Julien Lévy, co-porteur de la chaire “Publics des politiques sociales” et chercheur à l’Odenore, à l’université Grenoble-Alpes. « Actuellement, on assiste de fait à du non-recours, en particulier par non-proposition, des personnes en ce qui concerne l’accès au logement alors qu’elles pourraient y prétendre. » Surtout, précise-t-il, il faut revoir toute la politique du logement social.

L’État doit investir pour remplacer l’hébergement d’urgence par du logement social, d’autant que c’est moins cher à terme. Manuel Domergue, Fondation Abbé-Pierre

« L’État doit investir pour remplacer l’hébergement d’urgence par du logement social, d’autant que c’est moins cher à terme », rappelle Manuel Domergue, de la Fondation Abbé-Pierre. En effet, l’accès au logement social pour une personne coûte environ 9 000 euros, alors que le coût annuel d’allers-retours entre la rue et l’hébergement d’urgence peut revenir à 20 000 euros par an4.

Il faudrait, d’une part, faire appliquer d’emblée la loi SRU et accroître le parc social et, d’autre part, revaloriser les APL et expérimenter la quittance adaptée aux ressources des ménages, cela pour que les plus précaires, même ceux au RSA, puissent accéder au logement social.

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Par ailleurs, selon Ninon Overhoff, responsable du département “De la rue au logement” au Secours Catholique, « il faudrait encadrer les loyers dans toutes les grandes agglomérations pour réguler le secteur locatif libre, et prévenir les expulsions pour éviter que les personnes qui ne peuvent plus payer leur loyer se retrouvent à la rue ».

Autre solution développée par l’association : mettre en place une intermédiation locative, formule dans laquelle le propriétaire accepte de louer son logement à des personnes précaires à un loyer inférieur au prix du marché, en échange d’un avantage fiscal et d’une gestion locative adaptée. Ceci afin de « mobiliser le parc privé pour les plus précaires », selon Arnaud Gerardi, directeur de l’Agence immobilière à vocation sociale (AIVS).

Mise en place par le Secours Catholique et Cités Caritas, l’agence dispose actuellement d’une cinquantaine de logements. « Nous offrons au propriétaire une garantie d’accompagnement des personnes pour anticiper les problèmes budgétaires, précise Céline Ménager, de l’AIVS. Quant au locataire, il est acteur et a des droits mais aussi des devoirs, et cela le stabilise d’avoir un logement pérenne. »

Marsela, d’origine albanaise, logée via l’AIVS, en témoigne : « On a quitté le stress, c’est plus facile de se projeter maintenant qu’on a l’appartement. » Elle et son mari travaillent et ont des revenus, mais il leur manque un titre de séjour. Impossible dans ces conditions d’accéder à un logement social. « Ici, on est sûr de pouvoir rester », murmure-t-elle.

Justement, afin d’éviter que les migrants restent des années durant enlisés dans l’hébergement d’urgence, « il faudrait régulariser ce public qui du fait de son manque de papiers ne peut accéder au travail et donc au logement », estime Florent Gueguen, de la Fédération des acteurs de la solidarité.

Enfin, il faudrait recentrer l’hébergement d’urgence sur sa mission première d’accueil inconditionnel avec un accompagnement social : « L’hébergement ne devrait pas servir uniquement à mettre un toit sur les personnes et à les nourrir, conclut Vanessa Benoit, du Samu social. Il doit aussi les accompagner pour les aider à sortir de l’urgence. »

Sortir de l’urgence : c’est ce qu’ont fait Marsela et sa famille après trois ans à l’hôtel et des années de galère. Elle le dit elle-même : « Le logement a changé nos vies. Cet appartement, c’est notre cocon et on est stabilisés. »

 

1. Les associations citées dans cette enquête sont des partenaires du Secours Catholique-Caritas France.

2. Depuis 2000, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) impose aux communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en Île-de-France) de disposer d’ici 2025 de 20 % de logements sociaux. Un taux relevé à 25 % en 2014, excepté pour des communes qui justifient d’une situation locale particulière.

3. Rapport inter-associatif sur les difficultés d’accès au parc social des ménages à faibles ressources, juin 2020.

4. Rapport « Le Logement d’abord, et après ? », Ansa et Action Tank Entreprises & Pauvreté, mars 2017.

Auteur et crédits
Cécile Leclerc-Laurent Crédits photos : © Vincent Boisot, Xavier Schwebel et Steven Wassenaar/Secours Catholique